Tous les chemins mènent à Rome, vous aviez dit. (Sawyer)

Comme prévu, Sawyer, tu as eu tes matinées de libres, et puis, tu as été appelée l’après-midi pour travailler. Quand tu es rentrée chez toi, le soir de votre rencontre, tu avais toujours sa veste sur les épaules, et tu ne t’en es rendu compte que lorsque tu es arrivée chez toi. Tu l’as simplement déposée, avec soin, sur un coin de ton canapé avant de prendre une douche, pour ensuite aller te coucher, tu t’étais promise de la lui ramener dés le lendemain et puis, finalement, lorsque tu l’avais attrapée entre tes doigts avant de partir travailler, tu t’étais ravisée. La veille, vous étiez seuls. Tu t’étais souvenue alors que ça avait été relativement exceptionnel et qu’en le retrouvant, le lendemain, ce serait en compagnie de son manager, au moins lui et très franchement, Sawyer, tu ne te voyais pas lui rendre sa veste, l’air de rien, sous le regard de Monsieur Lee.

Du coup, tes échanges avec ton client s’étaient limités à un cadre strictement professionnel, le manager avait traîné dans les parages à chaque minute, craignant surement de perdre la trace de son protégé une fois de plus, et tu avais quasiment été chassé par ses soins, derrière le dos de Min-soo à l’heure des repas. De ce fait, tu avais bien compris qu’il fallait que tu gardes tes distances, et tu avais fais en sorte de te rentrer dans le crâne que tu ne pouvais pas trop en faire, peu importe ce que tu avais vu, ou cru voir, comprendre, ça ne te regardait visiblement pas. Point.

Pourtant, ma grande, voilà qu’au beau milieu de ton jour de ton congé, l’écran de ton téléphone s’illumine alors que tu es littéralement affalée dans ton canapé, avec un plaid, devant une série Netflix qui t’ennuies au plus haut point. C’est distraitement que tu y jettes un œil, avant de te redresser vivement, faisant voler un coussin un peu plus loin quand tu captes qu’il s’agit d’un message de ton fameux client. Un long SMS, dans lequel il t’offre quelques politesses avant cette question, étrange, qui te fais plisser les yeux. « Sunset Avenue … ? » Etrange, n’est-ce pas ? Il n’y a pas de Sunset Avenue, dans le premier district, du moins, pas à ta connaissance, ni même dans tes souvenirs. « A crédit … ? » Tu finis par soupirer, parce que, tu sais quoi ? C’est bizarre, et ça t’inquiètes, et déjà tu rejettes le plaid, tu pianotes un rapide : « Ne bougez pas de là. » Et puis, tu fonces enfiler un jean, et un haut, rapidement, avant de littéralement sauter dans tes baskets et d’attraper ta voiture.

Sunset Avenue, c’est dans le second district. Ce n’est pas le troisième, non, mais … ça n’en reste pas moins un endroit risqué, surtout pour quelqu’un qui n’est ni de Charney, ni même américain. C’est bien pour ça que tu fonces et quand tu te retrouves enfin aux abords de la plage, sur l’avenue en question, tu ralenties, tu te crispes sur ton volant pour regarder partout pour finalement décider que la voiture, ce n’est pas pratique. Tu te gares, donc, et puis, tu continues à pieds, ton téléphone entre les doigts. « Où est-ce que vous êtes ? Je suis là. »

Regarde-toi, Sawyer, à réagir un peu trop au quart de tour, toi qui n’es qu’une interprète, voilà que tu t’inquiètes de le savoir dans un quartier relativement risqué de Charney. C’est ton jour de congé, et c’est un client avec lequel tu as un contrat de travail mais, pourtant, tu quittes quand même ton appartement, tu attrapes quand même ta voiture, et tu traverses quand même la moitié de la ville pour lui remettre la main dessus sans même prendre le temps, ou la peine de te poser les bonnes questions. Pourquoi à crédit, d’abord ? Pourquoi dans le second district ? Si ça se trouve, tout va bien, ce n’est rien de grave, après tout, il n’a fait que te poser une question. Tout ce qu’il a demandé, c’est l’adresse d’un restaurant mais, ouais, tu ne sais pas trop pourquoi tu réagis comme ça, mais tu le fais, c’est tout.

Sur place, tu abandonnes bien vite ta voiture sur l’un des petits parkings qui bordent la plage, tu ne prends même pas le temps de payer le ticket de stationnement, et tu te lances à pied, dans l’avenue, ton téléphone en main pour finalement appeler Min-soo, lui faire savoir que tu es là. Il a l’air surpris de t’entendre, encore plus de t’entendre lui dire que tu es là – normal, hein, personne ne t’a demandé de te bouger ma grande – et puis, durant quelques secondes, tu restes au téléphone, à lui donner des indications en regardant autour de toi, jusqu’à ce qu’il t’annonce t’avoir vue, et qu’il raccroche. Et en effet, peu de temps après, tu te retrouves face à lui, et tu souffles un grand coup alors que lui est déjà en train de s’excuser. « Est-ce que tout va bien ? » Tu demandes, en le fixant. « Pas de soucis, vous ne m’avez pas dérangée du tout. » Après tout, tu ne faisais que lézarder dans ton canapé, aujourd’hui, avec un paquet de chips et un litre et demi de soda. « Et c’est exactement ce que vous avez fait. » Tu finis par lui souffler, quand il parle de l’usage de ton numéro de téléphone, comme s’il venait de faire une grosse erreur en t’envoyant ce message. « Je vous avez dit que vous pouviez me contacter en cas de besoin, alors, tout va bien. »

Et maintenant que tu es là, face à lui, te voilà de nouveau à regarder partout autour de toi … « Mh, non, je ne faisais rien de particulier, je vous assure. » Tu essaies encore de le rassurer, avant de finalement te remettre à le fixer. Il est seul. Il n’a pas appelé son Manager alors … « Comment se fait-il que vous soyez seul, ici ? Vous aviez un rendez-vous ? » Ce serait étonnant, autrement, Monsieur Lee t’aurais fait appeler, non ? « Non je … pas du tout, j’habite en périphérie. » Ce n’est pas la porte à côté, quoi. D’où la bonne demi-heure que tu as mise pour venir ici en voiture. « Un repas à crédit … vous … » Et te voilà à plisser les yeux, l’observer encore, ce sweat, cette capuche, ce jean. « Vous avez fait faux bond à Monsieur Lee ? »

Non mais c’est clairement bizarre, comme histoire. Parce que, rappelons-le, hein, au cas où, mais cet homme-là, face à toi, malgré les apparences, ce n’est pas n’importe qui. S’il peut potentiellement passer inaperçu, ici, auprès des gens, il y a tout de même de fortes chances qu’il finisse par être reconnu. Et puis, il ne parle pas un mot d’anglais, ou presque, et … Ouais, non clairement, le second district est connu pour les très nombreux sales types qui s’amusent à arnaquer et pigeonner les touristes, surtout les étrangers et c’est probablement l’une des raisons qui ont fait que tu es venue à lui aussi vite, parce que, mince Sawyer, il aurait pu lui arriver n’importe quoi et tu te serais sentie affreusement coupable.

En fait, durant un instant, tu es dans l’incompréhension la plus totale. Il a les moyens, et il te parle de repas à crédit. Il est seul, alors que normalement, son manager ne le lâche quasiment pas d’une semelle. Sans parler de cet accoutrement qui ressemble à celui d’un espion au rabais … Il te faut quelques minutes, tu vois, de réflexion, d’observation, pour arriver à une conclusion toute simple que tu ne te retiens même pas d’exposer sous la forme d’une question. Et tu sais quoi ? Dans le mille, parce qu’aussitôt, il détourne les yeux et bon sang, il est bien plus grand que toi, c’est vrai, mais ça ne t’empêche pas d’avoir l’impression d’avoir un grand enfant devant toi, pris sur le fait, au beau milieu d’une grosse bêtise. Et le voilà, maintenant qui te donnes ses explications. Il cherchait la rue dont tu lui as parlé, celle avec les fast-foods, dans le premier district. Il s’est simplement perdu. Et il n’a pas appeler Monsieur Lee, parce que ce dernier n’aurait fait que le ramener et … Et c’est plus fort que toi, Sawyer, tu ne peux pas t’empêcher de te mettre à rire de bon cœur, au point d’en avoir littéralement mal aux joues, et de sentir des larmes te monter aux yeux. Et puis, tu te calmes, presque subitement. « Excusez moi … c’est juste … » Et tu te râcles juste la gorge, maintenant, parce que, ça reste ton client, et que ce n’est pas très gentil de se moquer, ma grande, même si pour le coup, c’est particulièrement drôle, tu ne dois pas oublier, une nouvelle fois, à qui tu t’adresses. « Vous auriez dû m’appeler tout de suite, j’aurais pu vous y emmener, vous savez ? » Le pauvre … Le pire, c’est qu’il en a eu, des mésaventures, en moins d’une matinée complète, juste pour un hamburger de fast-food. Et surtout, il n’a visiblement pas abandonné.

Cette nouvelle invitation est lancée dans la continuité de ses explications, si bien que tu te mets à agiter la tête, légèrement, avec un sourire. « Ils n’acceptent pas les wons non plus, chez Five Guys, vous savez ? » Non parce que du coup, il semble oublier qu’il voulait un repas à crédit, justement parce qu’il n’avait pas d’argent sur lui. « Je vous l’offre, votre burger. Et je vous emmène. Par contre … est-ce que vous êtes dérangés si on fait un détour par mon appartement ? Que je puisse enfiler quelque chose de plus adapté et surtout, une veste. » Ouais, t’es sortie avec un simple haut léger et franchement, le vent est sacrément frais, là. Et puis, il y a aussi le fait que, tu viens de l’inviter à ton tour, alors que toi non plus, tu n’as rien sur toi, à part ton téléphone. « Ma voiture est là-bas. »

Tu ne vas tout de même pas agir comme le ferait son manager … déjà, parce que ça ne te ressemble pas du tout, ensuite parce que, tu n’oublies pas tout ce que tu as pu voir, ou cru voir chez lui. S’il s’enfuit de la sorte, c’est qu’il a ses raisons, s’il refuse d’appeler le manager, c’est aussi qu’il a ses raisons, alors, franchement, il est hors de question pour toi de juste le ramener à son hôtel en ne pensant qu’à tes propres intérêts. Il a envie de manger un burger ? Bien. Tu adores les burgers, du coup, tu l’invites, tout bêtement, et tu vas l’y emmener, aussi, pour être certaine qu’il ne se perde plus. Tout ça, toi, ça te parait normal et naturel, et pas une seconde tu te dis que Monsieur Lee va potentiellement te faire un scandale pour avoir laisser ton client vagabonder comme ça au beau milieu du public …

Tu n’accepteras même pas un refus quant à l’invitation – ou si, la vérité, c’est que tu finiras surement par te plier à un refus … – et te voilà à lui montrer la direction à prendre pour rejoindre ta voiture, puis, tu as même l’audace de demander s’il n’est pas dérangé par le fait que tu puisses faire un détour pour passer par ton appartement, au moins le temps de récupérer ton sac et une petite veste contre le froid de novembre. Et tu sais quoi ? Il recommence. Tu ne sais même pas si on peut appeler ses remarques des compliments, en tout cas, elles sont d’un autre temps, personne ne dit ce genre de chose en Amérique, ou du moins, personne ne t’a jamais dit tout ça alors, ouais, ça te trouble, probablement que ça finit même par te faire rougir un peu si bien que tu te détournes, rapidement, pour rejoindre la voiture au plus vite.

Une fois devant le véhicule, tu pestes contre toi-même en t’apercevant que, dans ta précipitation, tu as non seulement laissé les portières déverrouillées, mais qu’en plus, tu as même laissé les clés sur le contact. C’aurait été une aubaine pour un voleur de passage, tiens … « Grimpez ! » Tu demandes, en lui lançant un sourire, pour finalement venir t’installer au volant. Tu attends qu’il se décide à s’installer côté passager, et puis, tu démarres, et tu reprends le chemin de ton appartement, réglant un peu de chauffage dans la voiture pour te débarrasser de la sensation glaciale sur tes bras. « Oh, d’ailleurs, si vous voulez monter … j’ai toujours votre veste à la maison, vous l’avez oubliée, la dernière fois. »

Tu ne devrais pas faire ça, hein. Clairement. Franchement. Tu devrais … bon, l’inviter à manger, à la rigueur, et puis le ramener ensuite, ce serait déjà sympa de ta part, et puis, tu n’aurais rien à te reprocher, ou presque, moins qu’en l’emmener chez toi, à l’autre bout de l’endroit où il loge, du moins, Sawyer. Tu n’en fais qu’à ta tête, là et si ton patron était dans les parages, bon sang, il te passerait un sacré savon, et tu le sais parfaitement. Malgré tout, tu t’entêtes, tu persistes, et au volant de ta voiture, tu fonces direction ton appartement, lui proposant même de monter avec toi un moment parce que, tu t’en voudrais de le laisser attendre dans la voiture, seul. Qui sait ce qui pourrait encore se passer, en plus ?

Tu hoches la tête, tranquillement, quand il accepte. « Bien entendu. » Tu te concentres sur ta route, jusqu’à enfin te garer sur le parking de ton immeuble, tu descends rapidement de la voiture, et cette fois, une fois qu’il est dehors, tu prends le soin de verrouiller les portières de cette dernière avant de t’avancer vers l’entrée du bâtiment, ton client si précieux sur les talons. « Ici ? Ce n’est clairement pas le calme plat, mais ça n’a effectivement rien à voir avec le troisième district. » Tu n’as jamais eu de soucis, en ce qui te concernes, tu sais qu’il y a quelques jeunes un peu perturbants, par-ci, par-là, mais c’est tout. En tout cas, tu ne te sens pas en danger ici, alors que mettre un pied dans le D3 est particulièrement angoissant à chaque fois, pour toi.

Tu te plantes devant l’ascenseur, appuyant au moins trois fois de façon pressée sur le bouton pour l’appeler et pour une fois, les portes s’ouvrent presque aussitôt, et tu t’y engouffres le temps de monter les quatre étages, puis, tu t’avances dans ton couloir, vers ta porte pour finalement l’ouvrir, et le laisser entrer avant de refermer derrière lui. « Ne faites pas attention au désordre… » Tu dis ça, hein, mais il n’y a que des babioles qui traînent par-ci, par-là, le désordre habituel d’une maison habitée, en somme, rien de dramatique.

Directement, c’est vers la cuisine que tu te diriges. « Eau sucrée ? Ou jus de fruit ? » Tu attends sa réponse, pour lui servir ce qu’il te demande et puis, une fois que c’est fait, tu fais le tour de l’ilot central pour repasser au couloir. « Je vous laisse une minute, je vais me changer. » Un sourire, et puis, tu disparais dans ta chambre, le laissant dans ta cuisine environ cinq minutes, le temps de souffler un coup, de détacher tes cheveux toujours pris dans une espèce de vieux chignon affreux, et de t’habiller plus correctement avant d’attraper une veste. « Ça va, au moins ? Vous tiendrez jusqu’à ce qu’on aille au restaurant ? » Tu t’inquiètes, évidemment, il ne manquerait plus qu’il fasse un malaise en ta compagnie, ou chez toi, tiens. Non mais tu imagines le scandale, Sawyer ? « Oh … » Te revoilà en mouvement, tu attrapes sa veste, toujours installée sur le canapé, et tu viens simplement la lui rendre. « Merci encore. »