We're not fetishes... | Faye Jordan

Gabriel ne sortait peut-être pas souvent, mais la personne qui réussissait à le convaincre à chaque fois n’était nul autre qu’à ses côtés présentement. Raison pour laquelle ce vendredi soir, il n’était pas en train de paresser dans une baignoire pleine d’eau pendant que son chat regardait obstinément le mur, dos à lui, pour une obscure raison. Il était plutôt assis à un bar, en train de siroter une bière en compagnie de sa meilleure amie. Ils étaient encore dans le District 3, raison pour laquelle ils ne baissaient jamais complètement leurs gardes, sûrement… mais cet endroit-ci était mieux que bien d’autres. Mieux que le Sphynx… Clairement mieux. D’ailleurs, c’était plutôt tranquille pour un vendredi soir. La clientèle de ce bar était vieillissante. Il avait l’impression que c’était celle entière du District 3 qui l’était, parfois. Il avait entendu des gars du gang de son patron parler du fait que leur gang l’était aussi… De toute évidence, le sang frais fuyait ces endroits comme la peste. Pas étonnant…

Le regard en amande de Gaby se pose sur sa meilleure amie, qui comme d’habitude attirait les regards ce soir. Il ne se plaignait pas. Il n’était pas en reste… mais bien sûr, ce bar n’était pas un bar gay, alors c’était différent pour lui. Et elle, elle n’en avait certainement rien à faire des hommes qui la regardaient ! D’ailleurs, alors qu’elle semble exaspérée par deux idiots dans la cinquantaine plus loin, Gabriel se penche vers elle, espiègle.

« Regarde le bon côté des choses : si tu veux leur montrer que tu es lesbienne, tu as juste à m’embrasser et ils risquent de comprendre. », blague le jeune homme, ricanant un peu avant de reprendre sa place, ponctuant sa phrase d’une bonne gorgée de bière. C’était difficile de trouver quelqu’un qui ne nourrissait pas le fantasme du petit Asiatique efféminé. Souvent des hétérosexuels. Ça le gavait. « Note qu’en vrai, vu comment les lesbiennes sont fétichisées, tu devrais peut-être t’abstenir. Me semble que c’est le genre de gros con à dire « C’est parce que t’as jamais connu un vrai homme, ma minette ! ». On va rester loin. »

Nouveau ricanement. Parfois, Gabriel avait l’impression d’en rire parce que c’était ça ou bien en pleurer… Il pose sa bière sur le comptoir… et alors qu’un type approche pour commander, un peu trop proche, Faye et lui échangent un regard. Gaby met automatiquement sa main sur le boulot de sa bouteille, histoire qu’aucun magicien n’utilise sa dextérité hors du commun pour faire le mal. On n’est jamais trop prudent dans cette partie de la ville.

« La prochaine fois, on devrait quand même rester chez moi. En plus Cinderella t’aime bien. C’est un privilège rare dont tu devrais profiter ! », fait remarquer Gaby, plus amusé qu’autre chose. Son chat était du genre grognon qui n’hésitait pas à mordre les mains qui osaient se poser sur son pelage. Pas celles de Faye, par contre ! Ce chat connaissait les bons plans…! Mais soudainement, le regard de Gabriel se pose sur un type… et il a l’espace d’un instant le cœur qui s’arrête avant qu’il ne reparte pour de bon. Ça lui arrache un soupir de soulagement, pour le coup. Et quand il croise le regard de Faye, il a un nouveau soupir… sachant qu’il va devoir expliquer. « La semaine dernière, un type des Ivory Claws a essayé de me démarcher. Pour le gang. Pas pour… Enfin, bref. Je pensais que c’était lui. Pourtant, il ne lui ressemble pas du tout… Mais dans la démarche. Et puis il a le blouson… Bref. »

Il lève les yeux au ciel, un peu stressé mais essayant de faire passer en le camouflant un peu.

« Je ne me souviens même plus de ce que j’ai dit tellement j’ai eu peur. Je me suis sauvé à la vitesse de l’éclair, ça tu peux me croire ! Je sais que je devrais être habitué avec Aydan et la clientèle qu’on a. Mais là c’était différent. Là on était seuls, il faisait noir et il me visait spécifiquement… »

C’était très, très différent !

Une jolie robe aux couleurs ensoleillées et un rouge à lèvres foncé. À peine quelques pinces pour dompter ses boucles brillantes et son éternel sourire rayonnant. Faye a encore entraîné son meilleur ami au bar. Pas un bar douteux. Un bar tranquille, qu'elle aime beaucoup. Pas pour l'intellect ou la classe des lieux ça non... Après tout, elle ne passe jamais sans un regard un peu lourd. Pas méchants, mais dans le fond, pas forcément flatteurs non plus. Enfin, elle ne se plaint pas. Cela pourrait être pire. Cela pourrait être de l'agressivité ou même de la haine. Elle aime cet endroit et ne compte laisser personne porter atteinte à l'affection qu'elle lui porte. Elle aime boire une bière, en bonne compagnie, à refaire le monde ou à discuter de choses bien moins importantes. Gabriel se penche et lui glisse quelques mots en ricanant. Elle sourit amusée et roule les yeux en même temps. Puis, il poursuit et elle répond : « Je suis sûre qu'ils seraient tous très heureux... ». Elle grimace un peu, fait mine d'être dégoûtée avant de rire. Elle lui dit : « Laisse les faire, si ça pimente un peu leur vie... ». Elle hausse les épaules. Même si elle préférerait largement être en présence de femmes. Cela lui importerait beaucoup plus. Elle ne peut pas interdire ces hommes de fantasmer, et tant qu'ils le font en silence, alors qu'est-ce qu'elle peut bien y faire ?

Elle secoue la tête amusée. C'est vrai que si elle le voulait, elle pourrait leur faire croire n'importe quoi grâce à Gabriel et son allure efféminée. Mais elle ne veut pas faire ça. Dans le fond, elle ne trouve pas ça tellement respectueux pour lui, même si à la base l'idée vient de lui. Il reprend la parole et elle roule des yeux : « Oh aller quoi ! Tu sais que j'adore ton appartement, et que j'aime bien le chat. Mais pourquoi on devrait rester enfermés ? ». Faye aime sortir. Elle aime bouger. Découvrir de nouveaux endroits. Et même si leur quartier n'est pas le plus sécurisé, elle s'y sent chez elle. Elle s'est habituée à force de parcourir ces rues, à force de prendre le métro. Oh, bien sûr, elle a toujours un spray au poivre dans son sac. Mais elle ne s'en sert pas si souvent. Il suffit de savoir à quels moments se faire discrète. Et quand on grandit dans ces rues, on sait le faire. C'est comme un sixième sens.
Elle pense à ce chat. Ce fichu chat au sale caractère qu'il a recueilli. Elle se demande parfois ce qu'il lui a pris d'adopter celui-là. Mais elle a fini par réussir à trouver comment gagner ses bonnes grâces. Enfin au moins un peu. Et son meilleur ami se fait subitement distrait, focalisé sur un type, mais avant qu'elle n'ait eu le temps d'en plaisanter, ce qu'il lui dit ensuite lui fait hausser un sourcil. Elle penche un peu la tête et finit par grimacer un peu. « Trop flippant... ». Elle imagine son meilleur ami recruté dans un gang, dévaler une pente glissante sans pouvoir s'arrêter et lui dit subitement : « C'est non ! Tu entends Ahn Gabriel ? C'est non ». Il n'a pas eu trop le temps de réagir plus que ses yeux se levant au ciel.

Et maintenant, il explique un peu plus. Et cela la rassure. Elle soupire un peu soulagée d'entendre ça. Elle ne veut pas qu'il prenne des risques aussi important. Être dans un gang, non. Vraiment. Même si elle ne doute pas qu'il puisse tirer son épingle du jeu avec son caractère et malgré son apparence, elle préfère encore qu'il reste loin de tout ça. Elle sourit un peu et dit : « Franchement... Je préfère te savoir ici avec moi plutôt que je ne sais où avec je ne sais qui ». Elle sourit un peu et lui lève un peu sa bière : « Il n'y a rien de mieux. À part peut-être les soins du visage et les séances au spa. J'avoue que ça, c'est vraiment le top. D'ailleurs, tiens, ça fait longtemps qu'on a pas fait ça. On pourrait même faire une petite manucure au chat non ? Il en a besoin, ce monstre passe son temps à sortir les griffes dans tous les sens ». Elle pouffe de rire. Elle ne peut pas tout le temps le soûler à la bière, ça fait finir par lui bousiller le foie à cet animal. Alors à la place, ils pourraient juste essayer de lui faire les ongles, non ? Elle sourit un peu amusée à l'idée de limer les griffes de cette furie.

Sûrement, oui. Surtout que pour ce type d’imbéciles, Gabriel avait souvent l’air d’une lesbienne nouveau genre, quelque chose comme ça ! Il n’essayait même plus de les comprendre. Il se contentait de lever les yeux au ciel et de les ignorer… quand c’était possible, quoi. Mais pour Gaby, c’était une sacrée bonne raison de passer une soirée tranquille chez lui, ce qui ne semble pas convenir à sa meilleure amie !

« Des fois de temps en temps, il n’y a rien de mal à ça… », fait lentement remarquer Gabriel, avant de néanmoins ajouter : « Oh ça va, ne dis rien, je sais bien. »

Il était du genre à trop rester enfermé et ils le savaient tous les deux ! Il n’en rajoute donc pas à ce sujet, glissant plutôt le bout de doigts longs et fins contre la paroi de son verre de bière, songeur. Son regard se pose à nouveau sur Faye alors que cette dernière réagit vivement à ce qu’il venait de lui dire. Ça lui permet de faire retomber un peu le stress de son côté, comme s’il en avait donné une partie à son amie ! Ça lui arrache un petit sourire malgré la peur qu’il avait ressenti ce soir-là. C’était débile. S’il avait des soucis avec les Claws, il pouvait toujours se plaindre à Aydan, qui allait sûrement faire quelque chose pour lui… non ? La vérité, c’est qu’il ne savait pas trop comment ça fonctionnait au sein du gang et qu’il ne savait pas du tout quel genre de rang Aydan y avait. Ils n’avaient jamais eu ce genre de conversation.

« Voyons, je ne compte pas rejoindre un gang de rue ! », s’exclame le jeune homme, étouffant son angoisse par un rire bref. Il prend une longue rasade de bière qui fait du bien en ce moment ! Puis, reposant son verre, il fait remarquer : « Mon boss en fait partie. Je pense que si j’ai des soucis, il va pouvoir m’aider un peu. Surtout si je ne les ai pas cherchés. En tout cas, j’espère. »

Il pouvait espérer. Ils avaient une très bonne relation. Il hésite un peu. Elle allait le taper… surtout vu ses récriminations pour les hommes. Maaais…

« Ce type a un de ces regards… Intense, bleu glacier… », commence-t-il, avant de surprendre le regard de son amie et de pouffer de rire à nouveau. Il vient lui donner un petit coup du bout du pied sur le mollet sans force tout en assurant : « Quoi ? Je ne suis pas aveugle… Mais il a l’air tellement inquiétant que je ne suis pas fou non plus ! Je ne vais pas tendre le bâton pour me faire battre ! Mais il pourrait être mannequin plutôt que membre de gang de rue, quoi. »

Il éclate de rire cette fois, noyant ce rire dans une gorgée de bière. Il buvait rarement aussi vite. C’était le stress, sûrement. Il lève néanmoins les yeux au ciel en reposant son verre sur le comptoir. Sérieusement ? Elle voulait faire une manucure à son chat ?

« J’ai déjà essayé, tu sauras. De lui couper les griffes. Il n’a pas trop apprécié… Et j’ai eu peur de les sentir contre mon visage alors j’ai laissé tomber ! »

Il y avait bien des choses qu’il avait essayé de faire à ce chat. Rien de méchant ! Mais il essayait d’être un bon propriétaire de chat, si on pouvait dire ça comme ça vu le matou de gouttière qu’il avait recueilli…