Perdu dans les songes (Oza)

T’aurais peut-être pas dû suivre ton frère… Non, ce n’est pas peut-être, c’est certain Ekaitz. Haydn ne te veut plus dans sa vie, il t’a repoussé, rayé de son existence pour de bonnes raisons et toi, tu devrais simplement obéir. Pourtant, tu ne le fais pas. À la place, mon vieux, tu lui files le train autant que possible, et il y a deux jours, tu as essayé de lui parler. Comme on pouvait le prévoir, ça a mal fini : il t’a envoyé chier, insulté, avant de te planter sur place avec un bouquin à l’eau de rose dans les mains. Un drôle de cadeau qui a éveillé ta curiosité.

C’est pour ça que tu as continué à le suivre sur le reste de la journée, de loin, alors qu’il s’agit d’une de tes rares semaines de vacances. Tu l’as vu fanfaronner avec ses amis, rentrer chez lui, se préparer et ressortir pour… récupérer une jeune femme à la sortie d’une librairie. Ca aussi, ça a grandement éveillé ta curiosité. Tant et si bien que tu les as filé en douce, jusqu’à les voir partager un verre et là, enfin, tu es parti avec ce sentiment d’avoir fait quelque chose de mal.

La bienséance voudrait que tu oublies tout cela et que tu offres à ton cadet ce qu’il demande avec tant de véhémence, pourtant, tu n’arrives juste pas à te sortir ce que tu as vu de la tête. Donc oui, tu passes les deux jours suivants à oublier de profiter de tes vacances et tourner en rond chez toi, avant, aujourd’hui, de craquer. Tu quittes ton chez-toi sur un coup de tête et tu prends la direction du quartier où Haydn a été chercher cette jeune femme blonde.

Autant dire que tu as l’air d’un imbécile quand tu te retrouves à tourner en rond dans les rues du district central, sans bien savoir où aller vraiment. Tes yeux vont et viennent, observent les visages de ceux qui t’entourent en essayant vainement de ne pas imaginer qui ils sont et quels maux sont les leurs. Tu es complètement perdu dans tes pensées quand tu traverses soudainement la route, persuadé d’être encore dans une rue piétonne. Autant dire que tu n’entends la voiture que bien trop tard. Tes bras se lèvent vers ton visage pour te protéger alors que le crissement de pneux est sur toi. L’instant suivant, un choc dur et douloureux cogne dans ton bassin, t’envoie rouler en arrière et tu perds pendant quelques instants le sens de la réalité. Heureusement pour toi, la voiture était à basse allure et tu es résistant, aussi, si la douleur se répand un peu en toi quand même, tu parviens assez rapidement à te ramasser à genou sur le macadam, une main sur le visage en essayant de te reprendre

« C’est ma faute, désolé… je… je ne regardais pas où j’allais. »

Tu as passé la matinée à jongler entre la réception d'une grosse commande, la vérification de cette dernière, son tri, et bien évidemment, les clients qui vont et viennent habituellement dans la boutique. Tu commences à avoir une clientèle, et surtout, ta boutique attire visiblement assez l'œil des passants pour que certains y entrent simplement pour faire un tour … Tu vends bien. Il faudrait encore pousser un peu, pour atteindre ton objectif de rentabilité mais selon tes calculs, tu es pratiquement certaine d'y parvenir dans les mois à venir.

A midi pile, tu as finalement fermé la boutique, ton estomac criait famine alors tu as laissé ce que tu étais en train de faire en plan pour retourner chercher ta voiture afin d'aller récupérer un poke bowl dans le premier district. Une boutique un peu plus chère que celles qui se trouvent dans Central District, mais que tu aimes tout particulièrement pour la fraîcheur et la qualité de leurs aliments. Tu as pris une formule à emporter, comprenant un plat, une boisson et un dessert et puis, tu as rapidement repris le chemin du parking principal du centre-ville. Il y avait du monde, tu as dû faire la queue et tu as perdu trop de temps, de fait, tu te presses pour retourner à la librairie.

Circuler dans le centre de Charney peut s'avérer difficile, selon les horaires. Il est plus d'une heure moins le quart, quand tu t'engages dans la rue qui mène au parking, une femme qui échappe le doudou de son enfant, à ta droite, te fais tourner la tête et lorsque tu en reviens à la route, en moins d'un quart de seconde, tu captes avec horreur la silhouette qui traverse devant ta voiture. Trop tard. Tu appuies de toutes tes forces sur la pédale de frein, les pneus se bloquent, glissent sur l'asphalte, mais tu entends parfaitement le choc que tu ne pouvais pas éviter.

Lorsque la voiture s'arrête complètement, tu es crispée sur le volant et il y a quelques secondes de flottement. Tu finis par réagir, tu défaits péniblement ta ceinture de sécurité, avant d'ouvrir la portière pour sortir de la voiture. L'homme que tu viens de toucher s'est déjà redressé, il t'adresse quelques signes de la main et t'assure que tout est de sa faute, qu'il ne regardait pas où il allait. Mais c'est à croire que tu n'entends rien … « Mon dieu, je suis sincèrement désolée, j'ai tourné la tête une fraction de seconde ! » Il est à genoux, au sol, alors tu t'approches pour lui tendre les mains et l'aider à se relever, sans même savoir si c'est réellement ce que tu dois faire. « Est-ce … est-ce que vous êtes blessé ? Vous avez mal quelque part ? Je peux … Non, vous devriez voir un médecin pour être sûr que tout va bien. Je peux vous emmener si vous voulez. »